Lorsque la journée est bonne, Salat Ahmed et sa femme enceinte Sadiyo, réfugiés somaliens au Kenya, gagnent deux dollars (1,80 euro) en vendant du khat, une plante que l’on mâche pour ses effets euphorisants dans la Corne de l’Afrique.
Leur petit commerce, ils le tiennent dans une cahute de tôle ondulée posée le long d’une piste défoncée à Ifo, l’un des cinq camps qui forment le plus grand complexe de réfugiés au monde, Dadaab, dans le nord-est du Kenya.
Une fois payés le loyer, la nourriture et les médicaments pour leurs deux enfants, Farhiyo, 4 ans, et Guled, 2 ans, il ne leur reste pratiquement rien. Si ce n’est le rêve d’une vie meilleure, en Europe.
A 21 ans, Salat Ahmed est décidé: il veut lui aussi tenter sa chance vers le nord, comme des dizaines de milliers d’autres, à travers l’Éthiopie, le Soudan puis la Libye où il espère monter à bord d’une embarcation qui l’emmènera vers le Vieux Continent.
Selon l’agence européenne des frontières Frontex, plus de 284.000 migrants ont tenté de gagner ainsi l’Europe en 2014, dont un tiers en provenance d’Afrique sub-saharienne, comme Salat Ahmed. Plus de 7.400 venaient de Somalie, son pays d’origine.
- Guerre civile et famines -
«Je rêve d’une vie en Europe», résume-t-il.
Inutile de lui parler des dangers du périple, il les connaît déjà. Les noyades par centaines lorsqu’une embarcation surchargée de migrants, jusque dans ses cales, chavire en Méditerranée. Les milices en Libye qui ont jeté leur dévolu sur ce juteux trafic et dont la violence extrême le dispute à l’avidité.
Tout cela, Salat est en conscient mais il a aussi eu des nouvelles d’amis qui sont arrivés à bon port. Et son opinion est faite: le risque de mourir vaut d’être couru.
«Je connais les difficultés mais quand tu les compares avec celles d’ici, dans le camp... Celles-ci sont plus grandes et il n’y a pas d’avenir ici pour moi ou mes enfants.»
Il est l’un des 350.000 réfugiés somaliens vivant dans les camps de Dadaab, à environ 80 km de la frontière avec la Somalie.
La guerre et la famine ont poussé ces Somaliens à fuir leur pays par vagues, depuis 1991 et la chute de l’autocrate Siad Barre. La Somalie avait alors sombré dans la guerre civile.
La population de Dadaab témoigne à elle seule de l’histoire récente du pays. A chaque crise, un nouvel afflux de réfugiés: la famine au milieu des années 1990, l’intervention militaire éthiopienne en 2006-2007 pour chasser les tribunaux islamiques, une nouvelle famine en 2011...
Mais le gouvernement kényan en a assez. Il soupçonne que des membres du groupe islamiste radical somalien shebab, qui ont revendiqué les attentats meurtriers de Nairobi (67 morts, septembre 2013) et de Garissa (148 morts, le 2 avril), ont trouvé refuge dans le complexe.
Peu après l’attaque de Garissa, Nairobi a fait savoir qu’il souhaitait voir les réfugiés vider les lieux.
- La mort, «un risque à prendre» -
Salat Ahmed est tout prêt à partir. Mais pas en Somalie. «La vie en Europe, c’est OK à 100%. Mes amis qui ont rejoint l’Europe me disent au téléphone que c’est bien, là-bas, et je les crois. Et puis j’ai pu le voir à la télé», explique-t-il.
Le jeune vendeur de khat s’est fixé pour objectif de réunir les 3.000 dollars (2.800 euros) nécessaires au voyage - selon ses dires. Il s’y attèle depuis son arrivée à Dadaab en 2010. A l’époque, il avait fui la violence de Mogadiscio, où son travail de chauffeur de minibus le faisait flirter avec la mort quotidiennement.
«Je comprends bien les dangers du voyage vers l’Europe mais soit tu vis une belle vie, soit tu meurs en essayant de l’atteindre. J’ai entendu parler de ceux qui meurent en chemin mais c’est un risque à prendre pour une belle vie.»
Un rêve partagé par Noor Hussein, instituteur de 27 ans. Arrivé à Dadaab sur le dos de sa mère à l’âge de deux ans, il y a toujours vécu, y faisant son école primaire et ses études secondaires, avant d’aller suivre une formation d’enseignant dans la ville voisine de Garissa.
La vie d’un réfugié permanent n’a rien d’enviable, explique-t-il. «Il faut que je quitte cette région, que j’aille ailleurs, c’est ce dont j’ai besoin», dit-il.
Comme tant d’autres déjà partis, Hussein pense qu’il trouvera un travail en Europe et sera en mesure d’envoyer de l’argent à sa famille, à Dadaab et en Somalie. Pour ça, il est prêt à risquer sa vie.
«La mort peut venir à moi dans mon lit, lors d’un voyage ou partout ailleurs, et c’est pourquoi je n’ai pas peur. Si je réussis, ma vie peut changer. Je crois que j’y arriverai.»